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volte face
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In limine
Ne rien savoir faire, hors parfois le peintre,
conditionne les excursions dans l'écrit au récit des
moyens de cet unique exercice. Entreprendre de relater
les rouages qui conduisent à la production d'une oeuvre
égare dans un fastidieux labyrinthe à l'improbable
issue. Malgré la déconvenue programmée, je tente de
formuler certaines parts d'un arrière- plan d'où le
tableau sort et que seul, il permet d'approcher.
Une pratique, si le propos s'écarte des interprétations,
n'occasionne qu'un discours, dont j'ai parfois ça et là
dispersé quelques bribes. Ces notes ne sauraient
constituer un texte, ni une théorie et encore moins un
enseignement, elles témoignent en documents, d'une
attitude personnelle cherchant un éclaircissement du
regard sur le monde. Plus exactement de la maigre partie
du monde traitant la peinture, circonscrite là où le
système de l'économie libérale assure sa prospérité, et
dont la critique dans ces lignes ne sous-tend aucun
autre de rechange, plutôt une lointaine et constante
aversion à l'encontre de tout système. Rouvrir dans sa
généralité un questionnement politique de l'art suppose
en ce moment de revenir effectivement à la généralité
pour y rafraîchir quelques évidences. La première
concernerait les raisons de l'escamotage de
l'implication politique, après bien des surdoses
approximatives, sa prescription en désuétude dans le
domaine de l'art, au nom d'une très inquiétante
unanimité autour de la dissociation des deux mots:
irrémédiablement l'art appartient au politique toujours
en un irrévocable amalgame, incluant le religieux.
Survol
Pour favoriser la généralisation de sa cause,
le libéralisme a dépêché l'écriture d'une histoire de
l'art de ce siècle étiqueté "modernité". Tout commence,
on le sait, du divorce entre l'artiste et la commande
sociale, institutionnalisée pour l'édification du
social, quand le développement d'un marché, privé, offre
une alternative indépendante à la distribution des
oeuvres.
Contre l'académisme où sombre la manifestation
collective officielle, à force de s'en voir légiférer
chaque coordonnée, va s'établir une idée d'individuation
de l'art projetée comme singularité, en image de la
libération du sens de ses fonctions.
Au nom de cette rupture, en son nom propre donc, le
peintre explorera les possibles d'une nouvelle liberté.
Exilé dans le champ spécifique de sa pratique, quand
tous les discours, tous les sujets, sonnent en
aliénation de la pureté picturale, il s'acharnera à
déconstruire les formes et les motifs, au long d'une
logique radicale et d'un combat contre les conformismes,
pour y forcer la chute des barrières d'un ordre ancien
exténué. Jusqu'au point dernier d'un geste absolu,
au-delà duquel la spiritualité de cette quête succombe
dans la réitération formelle. Admettre l'accomplissement
de cet itinéraire, à la poursuite justement de l'ultime,
célèbre et profite de son double apport décisif:
l'intransigeance de son expérience des confins de
l'anatomie de la peinture révèle d'une part les
fondements matériels de la picturalité, les formes de
son exception visuelle, et d'autre part le sens de sa
fin.
Le corps autopsié laisse veuve l'idée de la peinture et
la véritable révolution de la modernité épuise
définitivement l'histoire de la picturalité. Esquiver la
leçon, ou pire, y convoiter une filiation, augure d'une
impuissance à penser un extérieur assigné par cette
entente, et la modernité muant en "art contemporain" se
contente de garder poliment sa place à table en gérant
les dividendes des aînés, piétinement de la pensée dans
le rabâchage des formules. L'histoire de l'art apprend
d'abord la tutelle qu'elle ne peut pas être.
La valorisation principale de l'aspect formel, isolé
d'une complexité des enjeux de la modernité, dans le
souci politique d'éloigner ce qui dévie une idéalité
héroïque, encourage à exploiter l'ultime en variations
illimitées, ruinant son sens d'une incapacité d'en
concevoir les bornes. De révérences en pillages, tant
d'involutions en produits maquillent leurs rétrogradages
sous la vertu novatrice des manières de leurs
présentations, codifiées en critères de classe par les
outils de la sociologie, grignotant peu à peu la place
d'une discipline esthétique démissionnant dans la
courtisanerie.
L'éviction du sens, -par conséquent du politique-, au
nom d'un universel affranchissement du sens, délie d'une
responsabilité de la motivation de l'oeuvre. En
confortation d'un ordre culturel, elle perd l'usage
d'une primordiale prérogative d'objet critique, et, se
croyant exemptée des contraintes de sens, elle assimile
les marques idéologiques d'un système en programme.
Impenser le rôle politique cernant les conditions
d'avancement d'une pensée, dessaisit l'oeuvre de son
être et l'enchaîne à la fonction réclamée par
l'industrie culturelle: entre diversion et adoration,
entre thérapie (pansement de ses failles) et sociologie
(répartition des critères de classe), elle déguise sous
quelques virtualités un monde ayant consommé ses sujets
pour agencer une image de l'idée d'un sujet contrôlée en
exemple social. La revoilà politique, par défaut, liant
un semblant d'existence à son allégeance à l'appareil
économique, pour un succédané de signification.
Affairé par la flamboyance de son effigie, le
capitalisme libéral se satisfait d'une explosion de
libertés formelles, gage de sa latitude idéologique
(remarquons tout de même comment le franchissement des
tabous économiques déclenche facilement sa colère) et
dans son rêve d'universalité ancre ses normes de
représentation en impératif. Pour en retransmettre
partout l'exemplarité, il va modeler des structures du
marché de l'art en adéquation avec l'accélération du
renouvellement économique, fixant désormais les règles
d'intercession en termes de médiatisation. La valeur
d'usage de l'oeuvre, ce par quoi elle requiert un regard
s'efface derrière sa valeur d'échange, non seulement
monétaire mais davantage encore celle d'une intégration
en rituel culturel, où précisément la culture se délite
d'être contrariée par son spectacle. W.Benjamin avait
annoncé cette prééminence du caractère d'exposition sur
celui de la vision de l'oeuvre, il faut y superposer
aujourd'hui la domination des capacités de
communication, aux infinies potentialités réductrices,
décidant de l'immédiateté de son exploitation, vers
laquelle maintenant sa dépendance l'oblige à se
produire. Le libéralisme s'emparant de la modernité
(celui anémiée il créera avec le même moule une
"post-modernité") édicte en l'art les préceptes de la
chaîne de la production de masse dont le mouvement
prospère de sa vitesse de remplacement, inventant au
passage l'hérésie d'un art éphémère (quand l'unique
raison de l'art est celle de traverser le temps:
abandonner cette raison originelle conduit à
instrumentaliser l'art en loisir, ou, redoutablement, en
modèle). Derrière la profusion de procédés théâtraux, en
autant de changements de décors, perdurent les anciennes
valeurs du spectacle, et l'état de délabrement d'une
société offre obligeamment une dernière opportunité de
rentabiliser la lamentation.
En ce moment, au gré d'une incertitude économique
fragilisant les présomptions du milieu de l'art,
l'abondance variée d'opérations style "retour aux
valeurs" nous promet le pire, une réaction vers des
racines nationales et traditionnelles, noyées dans
l'expressivité sentimentale. Où s'ébattent les fidèles
d'une religion de la pratique vouée à l'énergie des
corps. Culture physique garantissant un intarissable
humanisme. Les structures culturelles sélectionnant
leurs troupes pour l'ouvrage d'une image de leur
compassion, face à l'effroi engendré par le système
qu'elles représentent. Une idéologie du sanglot
caritatif passerait en perspective politique "correcte"
et l'exhibition compulsive de divers procédés plastiques
en ferait oublier le cynisme.
La réalisation d'un appareil politique représentatif
presse le retour d'une assimilation sociale de l'art,
son organisation "professionnelle", le mot devenant la
référence suprême, et l'habileté à manier les
combinaisons tactiques dessine les plans de carrière.
L'intention récupère la confortable et normative
conjonction, renversée autour de la fin du XIXe siècle,
entre les institutions, le marché et l'enseignement.
Pour balayer les relents parodiques d'un ordre aussi
archaïque, le label officiel de "contemporain"
(remplaçant celui d'avant-garde, exténué d'avoir trop
servi), couvrira la sacralisation politique du culturel,
assurant à la collectivité, passablement ébahie en
prime, la juste image de la force et de la tolérance
d'un système. L'artiste y devient le policé fournisseur
de modèles impétueux et renouvelables, par la célérité
desquels une représentation de la progression se
transformerait en preuve de progrès.
Contretemps
Sous la bannière liberté et progrès, le
libéralisme cautionne le triomphe du formalisme. Lorsque
le formalisme liquide le sujet et la spiritualité par
des jeux de parures, le capitalisme le plus libéral se
coupe de la réalité de la production et tire la
meilleure part de ses profits de spéculations
financières et monétaires.
Sans forcer un parallèle fatalement incertain, dans les
deux cas, la disjonction de la réalité accrédite le
règne de la représentation. Quand l'empire de la
communication rabaisse toutes les valeurs en images
équivalentes, jusqu'à ce point d'éblouissement où la
seule séduction de leur mise en scène hiérarchise leurs
pouvoirs, le bouclage hâtif de la question de la
représentation, au nom bien sûr de son obsolescence, ne
surprend guère. Il permet une commode cécité où la foi
de l'art contemporain entretient le mirage d'en reculer
les frontières. L'oeuvre devient relais d'un modèle
virtuel, édulcoré et propagé en écran culturel derrière
lequel les sociétés tentent de soustraire la brutalité
de leur vérité.
L'art n'expose plus ses signes d'être au monde, mais une
suite de masques d'une incapacité à y affirmer une
présence indépendante. Régie par la puissance
économique, l'histoire de l'art contemporain, miroir
sociologique d'un marché, s'effrite aujourd'hui d'un
trébuchement de cette gérance. Tous ses codes
s'étiolent, privés de leur assise budgétaire et
l'asepsie de son montage ne renvoie plus que sa
caricature, dogmes servis en idéal, et les reversions
fleurissent.
Se dégager des complaisances de ce désarroi implique de
renouer le questionnement de toutes les histoires qui se
mêlent pour constituer une épreuve du monde, en culture
individuelle. L'interrogation de ce noyau distinctif
alliant les savoirs et les épreuves, les uns par les
autres, avec les moyens de l'esthétique telle que Littré
la définit en "science de la métaphysique de l'art",
élabore l'oeuvre comme résolution des modalités
visuelles d'une inconvertible appréhension du monde, en
marques d'une origine, évidemment mentale et non pas
géographique. La ruine de la métaphysique éclatant tous
les commandements qui la contenaient lui propose la
chance de penser cette démolition en articulation des
fêlures laissées par une absence de sa figure, dans la
logique d'une recherche de leurs concordances de
significations.
Face à un reniement de l'oeuvre, en spectacle, et à
l'abdication de son rôle, minoré en portrait
sociologique de l'instant (d'une encombrante qualité de
document social), il n'est de possible rétablissement
qu'en elle pour ce qu'elle peut ouvrir d'une
intellection du regard, et déjà contenu dans la réponse
de Merleau-Ponty aux impératifs de libertés: "nous
sommes condamnés au sens"1 .
Une élémentaire dignité de l'oeuvre, si elle espère
justifier le privilège de la durée d'un regard, réclame
de déplacer son programme d'une approche plastique vers
une analyse du lieu sémantique de son acte.
L'oeuvre, dans l'espérance où je la conçois, n'est plus
le support d'une idée de sa mise en forme, mais le cadre
où une esthétique interpelle une relation au monde par
une extradition du regard vers la conscience de son
intervention politique, et le sens de ses bordures est
celui de l'affirmation de son autonomie. Retranchée dans
cette solitude, elle répète ses délimitations en
frontières de l'affrontement entre le système du monde
et l'espace de l'individu.
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La
peinture s'est toujours peinte d'après la peinture, en
archétype à magnifier ou à transgresser, par une
conflictuelle relation à l'histoire, à sa propre
histoire. Dans ses évolutions récentes, ployant les
enjeux de sens jusqu'à leur perte à travers des
stratégies de formes, elle ne se peint que de la
peinture, c'est-à- dire exclusivement d'un savoir
plastique, universellement répandu (et conditionné),
abandonnant l'indétermination de toute expérience d'une
réalité qui ne se formaliserait pas (qui ne se
formaterait pas dirait-on aujourd'hui) dans ce paradigme
universel fixé par l'actualité.
"L'instance d'après"2 désignée
par J.M.Pontevia intègre une mort de la peinture achevée
dans l'assèchement des variations de la technicité de
son expression et de son impouvoir à déborder son
officialisation.
L'interposition de ce décès, si souvent proclamé en
termes de délivrance présageant chaque fois une inédite
renaissance, ne refoule pas vers le passé une histoire,
elle installe au contraire face à sa présente mémoire un
apurement après-coup.
Déclarer la peinture morte voudrait ici signifier
d'abord l'interruption d'une continuité méthodique d'un
placement par rapport à elle, et ensuite son renvoi en
objet au milieu de tous les autres objets soustraits par
la représentation.
Après, tel que je le comprends, commencerait une pensée
du sens de la saisie de la représentation, qui pose la
nécessité d'outrepasser les bornes politiques
subordonnant l'appareil perceptif au champ plastique.
Décomposer les signes de ces valeurs politiques écrivant
leur exemplarité en entreprises culturelles démarque cet
après, en révision des modes de représentation,
dérivation critique, n'ouvrant aucune suite de
l'histoire, aucun rebondissement. Sans avenir donc et la
résolution qui programme l'échec l'intègre à son projet
en manifeste de son indépendance : seule une lecture de
l'oeuvre peut la légitimer, le reste est péripétie. Le
tableau vient en note, surcharge exilée d'un "texte"
qu'il regarde et il se départit de lui-même en
recommençant dans le déficit de sa propre représentation
son imperturbable image : la définition des contraintes
d'un cadre en permet seule, le dépassement.
La figure n'est pas neuve, "contrefision"3
l'appelait Fontanier pour le discours, avant sa
dégénérescence en raillerie, et, dès l'avènement de ce
que l'on nomme la peinture moderne, son après travaille
à s'en détacher. Sa proscription par l'actuel règlement
de l'art révélerait la crainte du surgissement de
répercussions inattendues. La positivité réclamée par le
développement précipité de l'économie appuie son succès
sur la force de résorption des antagonismes et exclue de
ses cercles les anticorps ne participant pas du couple
basique (et interchangeable) pouvoir contre-pouvoir,
réunis pour la même satisfaction des certitudes d'une
douteuse "cohésion sociale".
La modernité n'a cessé de proclamer, obsessionnellement,
la fin de l'art en manière de conjurer le poids écrasant
d'un héritage fastueux. Cette permanence avoue plutôt
l'inquiétude d'une impossibilité d'en finir avec
l'ancien et la frayeur, plus grave encore, du déjà fini
(pour la chasser, du "non-finito" au "work in progress"
s'accumulent les métaphores promettant une ultériorité).
Adopter le terrain de cet après pour mon compte, lorsque
tout est déjà ravi par la représentation, replace la fin
de l'art, comme la mort de la peinture en un moment de
la représentation, épisode parmi d'autres d'un tout,
empli de toutes les images occupant la vision de leurs
surfaces. L'oeuvre à venir, se privant de s'y rajouter
en force, choisit de s'approprier des parts de leurs
apparences, ballade désinvolte renvoyant quelques échos
d'un usage personnel. Ce qui revient à en dévoyer le
sens pour un autre qui passe d'abord dans le sens de cet
emprunt, et cette littérature visuelle reprend la
propriété allégorique de la peinture dans la primordiale
différence de l'abolition de son sujet: allégorie de
l'allégorie en démonstration du dérisoire.
Perdue loin des agencements fonctionnels de l'histoire,
l'oeuvre démêle une sortie d'elle-même par ses propres
moyens visuels, dans l'engagement critique de sa
désillusion, et elle renvoie le déchiffrement de ses
procédures de détournement en exposé d'un caractère de
son commencement: une étude du paysage mental rongé par
son épreuve extérieure, ou comment, ici pareillement une
"maladie peint".
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point de
fuite
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Non-lieu
Toute oeuvre dessine
ainsi son espace à travers la représentation: décrétant
une "chose" comme "art", elle la sépare de la vie et
contraint le projet à toujours mourir dans sa trace.
Traduction d'une méthode du regard où s'expriment les
conditionnements d'une idéologie résumant son
établissement, elle concentre les effets du politique en
visible.
L'inaliénable pouvoir de l'artiste exerce à transformer
un modèle, (l'objet d'attachement à transmettre) en son
spectre. Désignant l'art en envers de la vie, la
représentation elle, désigne ses barrières, que tous les
formalismes auraient bien voulu dissimuler sous des
pratiques exubérantes. L'oeuvre par la simple
appellation d'art bascule du côté de la mort, le côté
"non éclairé de la vie" distinguait Rilke 4.
Ce passage introduit dans une exécution silencieuse,
parce qu'inavouée d'où remontent les échos prismatiques
d'un imaginaire trop facilement relégué hors du réel par
l'index politique, alors qu'il en est la figure même, le
signifiant de son insuffisance.
Dispersant ses conclusions en suppléance de ce réel, la
représentation, comme toutes les suppléances, nomme
l'absence de ce qu'elle remplace, évide le contour de sa
mort par une formation substitutive.
Décomposition de la résiliation de son acte par son
signe, l'oeuvre survient de la dépouille de sa réalité
mentale, ou, pour renvoyer à Blanchot "le cadavre est sa
propre image"5 . Cette clause
de la représentation abroge les étendues de son
recouvrement, naufrage originel du vrai en l'oeuvre, non
pour inaugurer un univers du semblant, de la fiction, où
la sectorisation fonctionnelle consigne l'art, mais dans
l'intraitable vérité de la mort des réalités dans
l'oeuvre, genèse de la persistance de sa présence.
Réfuter cette mort, métaphore première d'une destinée
autonome de l'oeuvre, pour nier la fatalité actuelle
d'une étude de la représentation, et pour nier toute
structure symbolique, nie en même temps tout tribut
politique, toute morale à l'oeuvre. Le rejet tend le
piège d'une illusoire évasion, ou plus grave encore
d'une utopie, à travers un "autre monde", celui
calfeutré de l'art, image d'un modèle de liberté, vénéré
et par là, instrument d'aliénation.
À perdre dans l'apparence des choses leur nature, la
représentation referme son champ autour de son acte: la
recomposition d'un espace-temps herméneutique résistant
aux autres types de production, dans la spécificité de
la force de son immobilisme. La maîtrise, (le mot
s'oppose là à celui de création puisque les dieux ont
déserté depuis longtemps), savoir faire paraître quelque
chose qualifiant l'être par l'apparence d'un signe, se
déduit de l'autorité de la représentation. D'où l'oeuvre
tire sa capacité de faire paraître, elle tire aussi
celle de se défaire en peignant cette mort du réel en
elle, dans l'illusion de son cadre, pour imposer son
existence en cadavre.
La mort est la condition de l'oeuvre et son dénudement
la seule réalité du tableau. Preuve de l'entêtement de
sa vérité, elle lui définit une persévérance du sens
quand tous ses sens déconcertés par la représentation ne
sont que figures passées. La suite poserait qu'il n'y a
pas d'existence visible (où le visible témoigne de
l'existence d'un sens affranchi) hors celle que,
peintre, j'ensevelis dans l'oeuvre, pas de pensée qui ne
se fonde dans cette tombe.
La représentation reproduit l'expérience du deuil qui
constitue un espace de l'esthétique comme la négation
des qualités du voir: il n'y a rien à contempler dans ce
que je montre, rien où accrocher les valeurs
rétiniennes, seulement une éventualité de penser les
causes de cet acte. Le préjudice repousse le peintre
hors de son oeuvre, face à elle, dans la mélancolie de
sa défection par laquelle il s'évertue à la recommencer
en une sorte de marche forcée vers sa fin, et la
distance signe aussi un comportement politique.
Point de vue
La disparition de ce qui,
autrefois, s'appelait "sujet", effacé par la fin de
toutes les croyances, soulage l'oeuvre de sa charge de
glorification d'une conviction, et simultanément lui
retire sa fonction exemplaire. La perte des sujets, dans
toutes les destinations du mot, quand chacune dans l'art
règle ses restrictions d'une prépondérance de ses
doctrines, ne se propose pas en commutation du sujet,
elle éclaire un état nouveau de la détermination de
l'oeuvre.
Ce silence, du réel comme absence du monde à l'oeuvre,
appartient encore au monde, il en dit même une extrémité
par le désappointement d'une image impossible: le sujet
n'était pas le coeur de l'oeuvre, sa disparition non
plus. Le constat livre l'oeuvre à sa propre
irrésolution, dans l'entrecroisement d'une pluralité de
visions, ou la liberté formule ses choix en morale
politique de la représentation.
Tenter, comme je m'y efforce, de réfléchir la
représentation, (toute réflexion réclame la secondarité)
d'un contrecoup, présuppose une énonciation préalable où
elle s'applique, se représente. Le déroulement
heuristique éparpille les modulations de son sens dans
l'évolution d'enveloppes provisoires, condamnées par
leur actualité à l'oubli, ou à l'histoire ce qui est
pareil quand on l'apprête pour censurer son enseignement
présent.
L'oeuvre ne peut donc s'acquitter qu'à travers le
questionnement d'une prescription de la représentation.
Pour le dire autrement, ma considération du réel passe
dans une image précédente, choisie maintenant d'abord
pour l'interprétation critique déterminée par son oubli,
par sa décadence dans l'anonymat et nommée, non sans
paralogisme, stéréotype.
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sur le
motif
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Sur le motif
Impératif du simulacre de
la représentation, le stéréotype, à travers
l'écroulement des mérites de son image clôture le
visible (tous les visibles) à l'instant de sa fin,
emmurant le regard dans le reflet de sa dégradation.
Images déchues, écartées comme un surplus encombrant de
l'art, trop plein de sens trop insistant, ces clichés
importuneraient désormais à la manière d'un passé
trouble qu'une respectabilité neuve, correctement
rhabillée voudrait cacher. Ces imprésentables figures de
nos épreuves, refoulées par la distinction culturelle,
ont construit pendant des années, une nomenclature
aléatoire et symbolique des espérances fanées, frontière
inférieure du domaine de l'art, mêlant toutes les formes
d'images dans la mémoire d'une histoire de la
représentation.
Repasser ces motifs dans leur déconsidération replonge à
l'intérieur d'une banalité, commune à tous, et que le
soi repousse de ses savoirs derrière une impeccable
devanture. Représentants de la représentation, ils
rappellent une chronique politique des préceptes de la
vision, usure du symbolique lorsqu'il s'épuise en
étendard de strates sociales.
La citation à comparaître d'extraits de ce répertoire
périmé, fournit les multiples figures de l'idéologie
emprisonnant la communication dans des modèles sociaux.
Aucun culte de la relique, aucune contre histoire, ces
motifs ne commémorent rien, ils dévoilent leur déchéance
en une détérioration de l'expression attachée aux normes
fugitives du comportement. Dessous, leur récurrence en
quelques thèmes, suggère peut-être des liaisons plus
intimes abritées derrière la logique de la procédure, et
en filigrane, la sécheresse de leur dépersonnalisation
peut aussi se relire en détours analytiques de
l'affectivité, laissés en l'état aux commentateurs.
La manipulation de ces restes, métaphore d'un retrait
d'investissement, ébauche la figure d'un tableau
oeuvrant à se détacher de son image, pour retourner les
aptitudes symboliques de son origine, où le visuel
cherche à s'imposer en expérience de culture. Avec
dédain des codes, il ne craint pas d'y charrier une
pédagogie de l'image en valeur de la connaissance, mais
suivant l'exemple de Wittgenstein lorsqu'il parle
"d'estimer l'heure qu'il est en se représentant une
montre"6 . Récupérés au
milieu du désordre de leur abandon, la reprise de ces
stéréotypes en matériaux associatifs réforme l'objectif:
il ne s'agit plus de donner à voir une production de
signes singuliers certifiant un auteur, mais de
comprendre la "perte du voir" en intervention d'une
pensée esthétique.
Le geste de peindre, privé de l'invention de codes
propres, déplace sa conjugaison du "je" au "on", de
l'expression de l'auteur au lieu commun. Apposant des
mages sur le plan du tableau, par la logique
illusionniste de l'imitation, (la perversion de la
peinture surnomme la représentation), l'oeuvre trouve sa
raison des circonstances de l'organisation de ses
traversées de sens, en ce principe négatif d'exposer la
finitude des modèles. Répondant subsidiairement à la
rituelle question : " pourquoi peignez-vous? " parce que
je n'aime pas ce que je vois.
La pratique constante d'un mode négatif où chaque chose
participe à sa réfutation souligne une conduite de
l'engagement esthétique: le style n'est pas garanti par
l'affirmation d'une particularité de la manière, mais
par la considération des conditions de la projection
d'une pensée, par la conscience de la situation où elle
se projette.
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description
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Cadre retraité
La précipitation mise par
certains à enterrer le tableau, dont la mort a été
régulièrement proclamée depuis l'aube de la modernité,
suggère davantage le malaise d'un forfait qu'une
oblitération par la pertinence de sa suite. Pourtant, la
réduction actuelle de sa place dans le champ artistique
lui offre l'aubaine de l'obstacle nouveau de devoir
légitimer son projet, pour forcer un endroit à présent
imprévu, au moins dans le cas où il ne se répandrait pas
en une nostalgique "picturalité".
Le tableau en question ici ne se réclame que de son mot:
ni objet, ni peinture, ni autre chose, il est surface
visuelle en une idée ordinaire de lui-même à travers son
histoire. Dressé au mur, au-dessus des yeux, il n'existe
que de la visualisation d'une pensée, d'une lecture
engagée au centre de l'être de l'art, dans le noyau
cerné par le cadre, jamais renouvelé ou excédé d'un
parti pris de son cérémonial. Dans une société normative
et efficiente où l'ampleur du tapage mesure le
rendement, les contre-valeurs du tableau, lui assurent
un service critique, s'opposant aux préceptes du
progressisme technologique enchaînant la production.
Ma ténacité à maintenir le tableau dans l'étroitesse de
ses limites ayant conduit son actuelle désaffection,
soutient la banalité de son exhibition en préface
sélective et en terme de permanence. Décevant un rôle
d'objet événementiel, il n'apparaît plus en épisode
d'une histoire mais comme une inlassable reprise du sens
des conditions de la représentation de son état.
Avançant sa convention en argumentation politique d'une
indépendance de son espace, où il n'y a plus rien à
prouver, le tableau se détermine en réflexion sur et en
lui-même, et non plus en objet à penser.
La différence le coupe de sa nature d'objet de sens par
laquelle il montre son être-peinture, pour le concevoir
en plan d'accès aux objets de sens de la représentation.
Envisagé en moyen de pensée, son auto-représentation à
travers les barrières de ses structures d'échange,
dépeint l'artifice de la ressemblance comme origine de
son établissement, fondement conjectural du leurre,
idéalement arbitraire, (que je nommerais conceptuel si
le terme n'était confisqué pour une étiquette d'école).
Le propos tend évidemment à redéfinir le support mental
sur lequel la peinture occidentale a cultivé une pensée
dont la sophistication, loin d'être, le handicap que les
réducteurs nous promettent, est son avenir même, une
maîtrise de son intelligence.
Tableau en image de tableau, il décline le savoir de sa
ruine, de la ruine des valeurs picturales où il se
complaisait, en prologue d'un éclaircissement du regard:
vestige oublié d'une histoire, ou détourné, et image de
vestige, il figure cet avatar en preuve de sécession.
Refermé sur les limites de son plan, il immobilise une
représentation de sa fin, en procès de la peinture dont
il est reliquat, et s'il est encore convoqué, la seule
validité de reproduire son échec réglemente ce devoir de
désillusion qui le déjoue.
Le ressassement du tableau, en échos multipliés de son
imitation, veut témoigner d'une méthode de penser le
visible, façonnée à l'épreuve du simulacre reconstitué
en privilège d'une méditation: figure spéculative de la
mystification, l'illusion jamais n'abuse, mais décompose
le visage de sa vanité. Le tableau boucle son sens sur
le sens de cet anéantissement où le deuil unifie toute
chose en zone du regard, contrechamp mental de la
réalité, contenant l'histoire entière de sa perte dans
son cadre. Éconduit de ses valeurs traditionnelles, le
tableau n'a lieu que pour montrer le lieu de son
épuisement, et la situation exile l'auteur, le désoeuvre
jusqu'à la limite de n'exister plus que dans le tableau,
absent. L'inhumation recommencée toujours dans l'uvée
est celle, infinie, de son être, en dépossession de
toutes les illusions qu'il dévêt.
Ce travail de déprise à partir du tableau l'oblige. Il
n'y a d'autres pensée esthétique qu'en son intérieur,
par les détours et les empêchements de son exclusive
typologie visuelle, pour la distance mentale qu'il
implique, et en lui seul, parce qu'il est même, un
échange possible avec l'histoire des tableaux.
Le tableau tire là son emploi de se révoquer par le
simulacre, et de récuser la charge de sa surface en
démonstration. Astreint à la dénégation de tout absolu,
de toute radicalisé de ne même plus croire en lui, sa
condition est errance, dérive en une solitude
essentielle, dont le profil flou contraint le regard à
la résignation d'un séjour parmi ces épreuves racontant
son abolition "dans l'oubli fermé par le cadre" aurait
pu dire Mallarmé 7.
Habitacle d'une durée, temps mort où les choses du monde
se dénaturent, où leur nature disparaît pour un sens de
la disparition, le tableau, en topographie d'un lieu
mental, reconsidère les liens avec le contexte d'où il
sort. Et dont la sortie intime sa présence en ombre,
sorte de Némésis rappelant un sens de la mort comme une
éthique de l'art. Cet écart, celui aussi de son origine,
trace un travail de déprise, de séparation où se cherche
l'essentielle solitude, le risque du silence. Va alors
s'organiser un parcours de détachement de l'image,
déprise de son récit, abandon de la description de sa
figure. Sous cet effacement, littéralement exécuté,
sourd la structure de ce que fut l'image, retravaillée
pour en dire l'empreinte au présent, l'essence de sa
perte. Reste le commentaire d'un objet imaginaire, ce
qu'aurait pu être une image, ce plutôt qu'elle aurait dû
être, et qui ne subsiste désormais plus que comme
théorie.
L'insistance à faire reproduire au tableau les séquelles
de la représentation, à contrefaire ses artifices, à se
dénier lui-même dans l'imitation, à jouer de la panoplie
des conventions, voudrait encore abroger les
perspectives d'une chronologie, où se déterminerait le
déroulement d'une trajectoire liée au temps, ou pire,
une biographie.
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scène d'atelier
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Scènes d'atelier
Le principe par lequel
j'enclos l'acte de peindre dans la nécessité du
simulacre en dévie le sens. Il ne concourt plus à
déterminer l'oeuvre, qu'il simule et prévoit donc
représentée déjà, préfabriquée d'un détournement de ses
propriétés par leur reflet. La posture mine la
liturgique valeur d'authenticité en insinuant sa
suspicion sur toute affirmation.
Dénigrant la surprime accordée dorénavant à la pratique,
la réalisation additionne les miettes d'une science
inutile, qui par l'imitation d'une tradition mobilise
les vielles ressources jusqu'à leur corruption, pour en
dire à la fois et la perte et l'agissement permanent.
Sous cette ambivalence reparaît la blessure d'une figure
irrésolue qui ne se résorbe pas par les censures du
savoir.
Peinture à la façon d'une peinture, dé spécifiée par le
semblant, la manière de peindre rejoint ce moment évoqué
par J.M.Pontevia, "où la rumination commence"8.
Trop polie pour être honnête, la finition glacée d'une
matière inanimée relègue les phases de son ouvrage dans
l'oubli, fige en son gel sa propre distance, boucle
bouclée du sens des apparences. Sa fabrication elle-même
offusque une légendaire probité artisanale lorsque des
matériaux modernes, émulsions acryliques, abjurent leurs
caractéristiques pour mimer la noblesse des anciens. Le
détail englobe tout dans une antiphrase. Cette
matérialité de convention, d'où s'absente le corps,
retire l'idée de signature et enlise la pratique dans le
désenchantement d'une activité accessoire.
Circonstance aggravante l'obstination à n'utiliser qu'un
format unique, d'une a-tonalité décourageante rythmant
une perpétuelle récidive. Abandonnant les valeurs de sa
surface en dépouilles déjà dépeintes, l'exécution
désavoue le tableau, le sépare de son objet pour un sens
au-delà de lui-même.
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à corps
perdus
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À corps perdus
Lorsque le tableau ne
prélève plus son apparence dans le tissu visuel continu
mais à travers toutes les images d'une réalité éclatée,
lorsqu'il n'a plus ni foi ni dogme ou manière à honorer,
il accorde quelques indices d'une polysémie de la
perception en improbable prosopopée. Solde des figures
ruinées par la faillite de leur représentation, ces
motifs recueillis par morceaux (le sens de la coupure et
celui de la collecte instruisent une interprétation du
tableau, cédée à d'autres en cette parenthèse),
désagrègent la figure hégémonique affirmant la puissance
du message d'une personnalité.
Prononcer la déroute de l'unité de l'oeuvre, par
l'artifice de l'illusion, affronte l'une des lois
principielles de l'art, de fondre chaque chose en
l'énergie de son geste. Le préalable, toujours répété,
infirme en manifeste l'homogénéité de l'objet dans son
simulacre: ici, au sein du prétexte peint se quitte le
champ de la peinture.
Feindre ce démembrement perd l'authenticité du sens du
pictural, lui-même découpé en tranches d'effets requis
pour illustrer un sens qu'il ne produit pas, et le
principe retrouve une source de l'art occidental,
désigné dans ces notes comme simulacre, par
simplification...
Présenté en fractions, le tableau évince son habituelle
prétention à globaliser un monde à partir du simple
détail qu'il en est. Refermant son autonomie dans
simulacre, la circulation close d'extraits désunis, il
défait, de l'intérieur du l'espace fenêtre, en son
désastre, pour s'affermir de sa déroute. Champ de la
débâcle, il égare dans ce que Mallarmé appelle
"l'obscure profondeur naturelle de sa mort" et il épelle
ses reliefs en exigence d'une vérité, incidente de sa
perte.
La réquisition de diverses images en renvois spéculaires
de tableaux en tableaux et reproduites dans les
variations idéologiques de leurs fonctions passées,
provoque une dialectique de tensions divisant l'espace
en zones indépendantes et indissociables qu'A. de
Waelhens désignait par " coexistence significative "9,
opposant à la cohérence d'un projet promotionnel le
désordre de fragments épars, tranchés dans d'autres
préalables. Désordre s'emploie en contradiction avec
chaos, dont la fortune actuelle du mot, re-importé par
méprise de la physique contemporaine cache mal la
promesse d'un ordre nouveau recelé dans l'origine
biblique de son usage.
Signes d'une expérience critique du regard, ces extraits
dirigent leur assemblement en monument à une impossible
image du monde, en compléments circonstanciels de son
absence. L'espace pluriel simulé par leurs partages,
tenterait de répondre à la condition de l'oeuvre énoncée
par G.Granel "un componement adversatif de tous les
"aspects" du monde"10.
Démantelé en morceaux disparates, le tableau n'est plus
le lieu de l'événement, seulement un moment entre les
événements, site privilégié où tout est déjà passé, où
rien n'advient et dont l'unique mandat socialise les
savoirs de sa fin. N'offrant plus que les restes de sa
dépouille, constats méthodiques de la déroute de chacune
de ses valeurs, il réfléchit ce chant de deuil en
postulat du sens de sa continuation. Son discours
dépiécé, déréalisé par la fiction de son désastre, le
regard chemine dans une dissémination d'éléments de sens
des bribes de motifs, d'où la composition se comprend
malgré eux, par le dépassement qu'en permet leur
traversée, en mode de dévoilement d'une poésie, relevée
par F. Garcia11 (comme
l'entendait Hegel, un au-delà de tous les discours).
La constance appliquée à soustraire le tableau à son
propre spectacle en élève un spectre, portrait de sa
défection où se relit la dissolution de tout
enseignement. Ratifiant, entre autres déceptions,
l'impossibilité, dans le temps, d'un tableau politique,
le politique n'étant qu'un positionnement (par quoi ils
le sont tous également).
Le détachement, mot emprunté à Scott Fitzgerald12
plusieurs fois évoqué au long de ces pages, s'il
s'affiche dans la manipulation des conventions du
tableau et du stéréotype, se motive par l'expiation des
missions de l'oeuvre garantissant une parcelle du monde
et par la concession de laquelle une machine sociale
assujettit toujours.
L'inépuisable reprise du tableau, pour ce qu'elle induit
de différences, le dissocie des autres, l'isole dans
l'autonomie d'un même cadre, récusant l'appellation si
prisée de pièce. Il n'est pièce d'aucun tout, ni d'une
série, ni d'un ensemble et surtout pas d'une oeuvre,
monument futur où la valeur historique pardonnerait ses
défaillances. On sait, au moins depuis Mallarmé,
l'oeuvre impraticable, quand calquée sur son sujet, elle
n'existe que la médiation de croyances collectives,
avant leur débâcle en rites de communication.
Sauf à jouer à ritualiser l'art aussi, en courroie de
transmission de l'idéologie minimale d'une industrie
culturelle consensuelle, l'oeuvre dans son après, se
dissipe en oeuvres, hors des grilles structurantes. Le
parcours brouille sa continuité, tournant inlassablement
autour de son geste inaugural et réitère, à perte de
vue, le fondement par lequel il sape un pouvoir qu'il
refuse, refusant aussi le statut et la fonction
"d'artiste".
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peinture
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Passage
Une première décence
entreprend de défaire la mythologie de roman-photo
alimentant sans arrêt tout traitement du "créateur",
espèce de héros ou de contre héros, démiurge magicien.
Dans le système économiste, obéissant aussi à des codes
pulsionnels, et qui a fomenté, non sans calcul, l'idée
d'une gratuité de l'art, les attributions de l'artiste
sont moins de produire de la sur-valeur (elle vient en
gratification, comme une publicité de la nature du
système) que de fixer des points d'investissements de
phantasmes.
Élu pour transcender la désolation du réel, l'artiste
fabrique des signes d'identification sociale et de la
régulation des instincts, par leur conditionnement dans
la représentation. Les deux usages exploités pour
spectaculariser un leurre substitutif, habillage
renouvelable des divers appareils de communication,
ultime machination de l'image d'un arsenal culturel.
Refuser de s'adresser à ces combinaisons régulées par
les strates économiques voulant dicter les murs de la
perception, implique tous ces détours et subterfuges
pour filtrer son accès, espérant décourager la
curiosité, pour chercher un regard coïncidant, dans la
valorisation exemplaire qu'en espère toujours l'oeuvre
d'art.
Le contournement de ces voies balisées postule un
définitif dépaysement, déambulation touristique par des
chemins de traverse, qui éternisent une instabilité. La
ligne de conduite sacrifie les prérogatives d'artiste et
entraîne loin des statuts officiels où l'a installée son
assimilation en travailleur, plasticien décrète la
technocratie française. Reste d'une vogue marxiste
passée, la notion de travail appliquée à l'art, censée
faciliter une reconnaissance sociale aboutit à une
intégration administrative rayant un siècle
d'émancipations. La peinture ne peut jamais être un
travail, dans aucune des acceptions du terme.
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détails
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In extremis
Négliger de participer à
la parade auto glorifiante d'un exemple
politico-économique offert au monde, n'engage aucune
espérance de fuite, -attendrissante naïveté qu'une foi
en un ailleurs-, mais prévoit un campement aux franges
de cet étalage. Tout près, dehors, au centre de l'ombre
de la façade célébrant le triomphe d'une idéologie, dans
le silence de savoir l'inutilité d'une confrontation.
Dans cette vague périphérie, les débris camouflés d'une
affliction imposée, désarmant les artifices de
l'escompte d'un futur.
Je parle, et de surcroît ordinairement je peins, de ce
lieu, commun et accablant.
L'oeuvre commence l'interminable chantier de sa
situation, et comme tout chantier commence par la
clôture préservant des intrus. Réfléchir ses coordonnées
souscrit à l'antéposition de l'histoire écrite en
illustration d'une doctrine politique et de l'histoire
des défaites de ses contestations, fondues en un tout,
achevé, pour y apprendre une raison critique affirmant
une souveraineté intérieure. Ce passage hors d'une
continuité planifiée entreprend pas à pas la quête d'une
autonomie de l'oeuvre obstinément arrachée à son
contexte significatif.
Traiter le tableau en territoire de la disparition, à
travers les lambeaux de sa figure passée, dévisage le
puzzle de ces restes en ultime dépouillement d'une
mythologie personnelle, détachée d'elle-même par sa
représentation dans une imagerie anonyme, replaçant la
peinture en commentaire de son image. La position fonde
l'axe d'une éthique de ce que Rilke appelait " être en
face ".
"L'endurance du paraître"13 soulignée
par
G.Granel en chance de poursuite de la peinture, repose
le tableau en morale politique de son établissement.
Espace d'une irrésolution du regard, additionnant les
fractures d'une civilisation et les restes de mémoire
d'une expérience solitaire, l'oeuvre décline les codes
de représentation en épreuves de sa désillusion,
invitant le regard là où précisément il se perdra.
Peindre après la mort de la peinture serait peindre
libéré d'une pensée de la venue de sa mort, embusquée
derrière les lois qui la régulent en action sociale.
S'entrouvre l'éventualité d'une indépendance du sens du
tableau, comme incident de parcours, venant s'ajouter à
une longue suite d'incidents plus ou moins connus.
L'inscription de leurs rayures scande la surface d'une
organisation oecuménique en autant de biffures
interrogeant la fiabilité de son modèle.
Ce qui laisse néanmoins en questions tout futur de
l'art:
-à quelle intensité du fracas des massacres cesse-t-il
de s'entendre?
-à quel degré de vulgarité sociale peut-il résister?
-de quelle indignité politique paiera-t-il sa survie?
Alain lestié
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1- Maurice
Merleau-Ponty,”Phénoménologie de la perception”, Gallimard
1945
2- Jean-Marie Pontevia,”Travaux d’après peinture”, T.E.R.
Mauvezin,1981
3- Pierre Fontanier, “Les Figures du Discours”
Flammarion-Science
4- Rainer Maria Rilke, “Œuvres complètes” vol.3
“Correspondance”, Seuil
5- Maurice Blanchot, “L’espace littéraire”, Gallimard, 1955
6- Ludwig Wittgenstein, “Remarques sur la philosophie de la
psychologie”(1), T.E.R. Mauvezin 1989
7- Stéphane Mallarmé, “Plusieurs sonnet s n°IV” (Œuvres
complètes), La Pléiade NRF,1945 p.69
8- Jean-Marie Pontevia, “L’instance d’après” in “Travaux
d’après peinture” op. cit.
9- Alphonse de Waelhens, “La philosophie et les expériences
naturelles” Nijhoff,La Haye
10-Gérérd Granel “Lecture de ‘l’origine’” in “Études”,
Galilée, 1995
11-Françoise Garcia: in catalogue “Eaux territoriales”
Bibliothèque de Capbreton 1995
12-Scott Fitzgerald “la fêlure” Gallimard
13-Gérard Granel, in “Études”, op.cit.
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