Présentation de l'exposition "post pictura" par Marc Bélit

centre d'art contemporain "Le Parvis 3", Pau 2013

     


LESTIE : LE FRAGMENT ET L’ÉDIFICE

 

Parler de Lestié, n’est pas à proprement parler, inviter à découvrir une œuvre à moins qu’on n’emploie à son sujet une terminologie empruntée à la céramique chinoise qui connaissait la peinture « sous couverte ». En effet, cette technique très sophistiquée consistait à éteindre la couleur sous un glacis qui en même temps la sublimait et l’éternisait. Et la peinture de Lestié, du moins dans la partie principale de son œuvre, -alors qu’il faisait des toiles et des tableaux de peintre -  est peut-être à lire et à comprendre sous cette métaphore. Un texte en images avec un sous-texte qui l’anéantit comme forme et en redistribue les signes selon un jeu de codes et d’allusions qui tiennent du rébus. Le tout présenté « sous glacis » avec un sens de l’exécution proche de la perfection formelle des grandes époques classiques. Une œuvre à ravir esthètes et exégètes et il n’en a pas manqué.
Très tôt découverte et reconnue, cette œuvre a fait l’objet d’une sélection de groupe au Pavillon français de la Biennale de Venise en 1978, suivie d’une présentation aux « Ateliers d’aujourd’hui » au Centre national d’art moderne dès 1979. Elle a ensuite été portée par de prestigieuses galeries comme « la Galerie de France » ou la galerie Birch à Copenhague, et de nombreux commentaires critiques ont été publiés par la suite au fil des expositions.

Comment se fait-il qu’une œuvre aussi cohérente dans une forme à ce point maîtrisée, qui, si elle s’inscrit dans le médium « peinture », n’en fait pas moins référence dans sa manière propre à la plus extrême modernité dont elle n’ignore rien, mais se situe à l’endroit exact où celle-ci se met en question, soit à ce point méconnue aujourd’hui en dehors d’un cercle d’amateurs et de connaisseurs ?

C’est là une énigme et c’est aussi la raison pour laquelle il est important de la montrer.

 

Malgré tout, ce qui s’expose aujourd’hui de ce travail, diffère de la peinture peinture (rétinienne comme aurait dit Duchamp) quant au médium, non point qu’il s’agisse d’autre chose, il s’agit bien des mêmes enjeux que ceux qui se trouvaient dans les tableaux peints, mais présentés sur un autre mode, en l’occurrence, le dessin. Un dessin au crayon néro (déjà utilisé par Léonard) qui donne des noirs et des gris uniques et sur grand format. Un travail de « déconstruction » donc, de dégagement, d’excavation, comme si le peintre ayant « déglacé » sa matière peinte, cherchait à retrouver un dessin préalable qui en fait n’y était pas. Ce n’est donc pas du dessin « d’avant peinture », esquisse inachevée de ce que la peinture accomplirait, qui est ici en jeu, c’est plutôt un dessin « d’après peinture », au double sens du terme, d’après le modèle et dans sa succession temporelle. Quelque chose du travail de l’anatomiste qui met à nu, os, muscles, nerfs et tendons, le sens même de l’entreprise peinture qui n’a fait au fond que cela dans tout le siècle dernier et qui ensuite, a entrepris de recomposer, ailleurs et autrement, on dit maintenant « installer », au siècle suivant. Raison de plus pour s’approcher du travail de Lestié et y regarder de plus près, y regarder à deux fois, car ce qui se dit là est sans aucun doute, le non-dit de la peinture. En apparence, la même chose, les mêmes thèmes les mêmes obsessions, en profondeur tout autre chose, un recueillement, une ascèse formelle, une synthétisation, une reprise musicale de thème en mineur comme fait un Schubert par exemple, reprenant sans fin ses lieds et ses thèmes jusqu'à la limite de l’audible, du supportable. C’est ainsi qu’il faut « entendre/voir » la série (sélection) de dessins présentés au Parvis 3, un resserrement sur la pointe, un travail d’intensité ou le sens, la pensée, le dessein deviennent visibles.

 

À ceux qui découvriraient malgré tout ce travail, on désignera l’édifice qui le porte et le sous-entend par le fragment qui l’évoque et l’accomplit. On désignera le travail de la main puisque aussi bien ici, on dessine et on peint encore, on grave aussi de ces planches qui illustreront des livres, comme si la notion de métier, oubliée depuis quelques décennies dans les écoles des beaux-arts ou l’on enseigne une fois pour toutes la « technique mixte » était une nouvelle fois à l’œuvre dans un travail d’artiste, pour notre plaisir et notre réflexion.

Soient une vingtaine d’œuvres au total sur le registre du noir et blanc à découvrir en décembre et janvier au Parvis 3 à Pau.

Marc Bélit

        



















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40 x 90 cm






     

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