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Portrait de l’artiste Depuis que je le connais, trente-cinq ans environ, il ne semble pas avoir grandi. Impossible d’avoir des informations précises sur sa taille qu’à l’époque on pouvait qualifier de moyenne. Une silhouette décontractée presque nonchalante qui est plutôt celle d’un homme grand. Un sourire doux qui suit les inflexions d’une voix chantonnante avec un accent gascon qui n’a jamais cédé. Il parle peu mais toujours avec chaleur des autres peintres, de nos amis, de la politique, de la littérature, tous les sujets à l’exception de sa peinture et de lui. Sa mise est soignée, élégante, sans aucune affectation : veste grise en tweed ou cachemire en périodes fastes, un pantalon confortable en flanelle ou en velours et le plus souvent un pull-over à col roulé remplacé par la chemise-nœud papillon pour les soirs de gala, les vernissages ou les académies. L’ensemble dénote un bon goût qui ne se risque pas à paraître. Il n’a jamais changé d’appartement, malgré une dizaine de déménagements Bordeaux-Paris-Cannes-Bordeaux. Des murs peints en gris pâle (souris ?) tacheté de blanc, des meubles utilitaires laqués noir, mouchetés de gris clair. Lestié n’a pas d’atelier, mais dispose d’un vaste dispositif pour ranger les œuvres. Cette absence de lieu spécifique du travail de l’artiste a paru suspecte à plus d’un visiteur. Où l’œuvre est-elle réalisée ? Qui est l’auteur des lestié ? Personne ne l’a jamais vu peindre ? A chaque visite, le rituel s’accomplit, les œuvres sont sorties l’une après l’autre de la réserve et placées bien en vue du regardeur devant qui elles se succèdent à une cadence plus ou moins régulière, au rythme des entrées et sorties de l’artiste qui se tient docilement en retrait. Aucun commentaire du peintre ne vient troubler la contemplation des œuvres qui effectuent ensuite un retour en sens inverse avec arrêt prolongé sur celles qui ont retenu l’attention. Depuis 1976, rien n’est venu interrompre le cours régulier des peintures, toutes du même format : 130 x 89 cm et une technique unique —peinture acrylique sur toile dont l’effet miroir est obtenu par une succession de ponçages recouverts d’un léger vernis. Le registre de couleurs est restreint, centré sur le brun « au point précis où la couleur s’éteint » d’après Dora Vallier . Au fini, une œuvre lavée à fond, propre et comme empesée. La couleur parfois éclatante suit un parcours étrange avant de disparaître. Depuis 1995, ce sont des grands dessins organisés en diptyques ou triptyques qui défilent devant le regardeur. Des noirs et gris fastueux qui donnent enfin à l’œuvre de Lestié sa plénitude accomplie, sa beauté avouée. Jean-Didier Vincent extrait du texte "Variations Lestié" publié dans "Alain Lestié: séquence en noirs" éditions Mollat 2005 |
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